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blog different
29 novembre 2007

Dernier inventaire avant liquidation

Chers tous,

Je suis très sensible à vos messages de soutien et à la proposition de Zoé de "chaîne de l'amitié". C'est bon de savoir que vous ne m'oubliez pas en dépit de mon silence.

Ce dernier mois, j'ai eu l'impression de tourner en rond dans la Giudecca, la quatrième zone du neuvième cercle des Enfers de Dante. Que dire? Plus d'un mois que je suis malade, un mois de fièvre entre 38°C et 39°C, une asthénie extrême qui a fait que parfois je n'ai pas eu la force de quitter le lit pendant plusieurs jours. Aujourd'hui, la fièvre semble reculer, mais je suis exsangue. Le moindre effort m'épuise et il me faut des heures de sommeil pour m'en remettre.

J'ai été hospitalisée à l'Hôpital Bichat où j'ai déjà un long dossier. Il paraît qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Vous connaissez ma date de naissance: 21/01. Eh bien, j'occupais la vingt-et-unième chambre du premier étage. Le 21 est un chiffre qui revient souvent de manière symbolique dans ma vie, de même que son contraire, le 12.

Au départ, ils ont pensé à une crise de paludisme dont j'avais tous les symptômes: de bizarres accès de suées toutes les trois heures, des douleurs terribles dans les muscles (ils ont dû me mettre sous morphine pendant une semaine). Mais en voyage, j'ai toujours scrupuleusement pris mes anti-paludéens et le test de malaria est revenu négatif, de même que tous les autres tests que j'ai subis. L'équipe médicale a conclu à un virus inconnu particulièrement virulent (mes lymphocytes avaient viré au bleu, j'avais une inversion de formule sanguine et trois fois la dose normale de globules blancs pour ceux à qui ça parle). Il existe des milliers de virus, certains mutants, et tous ne sont pas identifiés. Le protocole dans ces cas-là est de dépister les virus les plus dangereux, en particulier les virus immuno-déficients (HIV, CMV, etc.) et une fois ces virus éliminés du diagnostic, on peut relâcher le patient en se disant que son système immunitaire fera le reste. Mes analyses étant en train de redevenir normales, Bichat m'a fait mon bon de sortie, avec abonnement "surveillance et évolution du patient" pour les mois à venir et le numéro privé de bipeur du médecin pour toute urgence. Le seul truc sympa que j'ai appris, c'est que je suis immunisée contre la mononucléose (comme 80% de la population, paraît-il).

On m'a prédit que je mettrais plusieurs semaines à me relever d'un pareil virus et je dois dire que, vraiment, je suis exaspérée de voir le temps que cela prend car l'amélioration est vraiment lente à venir, je n'ai aucun appétit, la nourriture me dégoûte et tout effort a pour l'instant des conséquences prohibitives. Dès que je me lève, je suis essouflée, j'ai des vertiges, je ne tiens pas sur mes jambes, je sens que je défaille. Les actions les plus communes et basiques comme me laver ou préparer un repas m'épuisent et sont à peu près tout ce que j'arrive à faire de mes journées.

Même si j'arrive en apparence à articuler un discours, je suis intellectuellement très ralentie et embrumée par toute cette fièvre. J'ai un mal de chien à me concentrer, les idées viennent au compte-goutte. Moi qui tape vite et bien d'habitude, ce post me prend un temps fou; je fais des coquilles à chaque mot, je dois effacer, recommencer.

Le résultat de tout cela, c'est que la seule chose pour laquelle je semble avoir une aptitude ces dernières semaines, c'est la téléphagie intense. Je lis un peu, mais je fatigue vite. Les heures les plus difficiles de la journée sont celles du réveil jusqu'à environ 18h, heure à laquelle certains programmes intéressants débutent. Je n'ai pas le câble, alors me trouver coincée avec le talk-show racolleur de Delarue, Midi les Zouzous ou bien la Star Ac', ça relève pour moi de la torture médiévale la plus créative et je bénis les heures de sieste. Heureusement, ma vidéothèque conséquente m'évite le pire aux heures d'indigence. En revanche, relativement insomniaque la nuit, je fais le plein de rediffusions d'émissions littéraires, de reportages, de documentaires. Ma table de nuit est couverte de post-it de suggestions de livres à lire, de noms de photographes jusque-là inconnus, de citations, de pistes de réflexion. Dommage que ma tête cotonneuse ne retienne pas grand' chose ces temps-ci, parce qu'au milieu de ma passivité, j'ai une activité intellectuelle passionnante la nuit. Même si personne ne me semble pouvoir rivaliser avec le grand Monsieur Pivot que j'ai eu la chance de côtoyer et d'admirer à l'oeuvre, j'avoue un petit faible pour "Des mots de minuit" de Philippe Lefait sur France 2, ses invités de qualité, son ecclectisme, la musique douce de l'invité qui conclut chaque émission.

En fait, si je parlais plus haut de cercle des Enfers et si mon post porte ce titre quelque peu évocateur, c'est parce que j'ai une grande peur cachée. Dans mon post Brigitte Jaune: Opening Night, j'évoquais ma crainte palpable d'avoir 30 ans. Pourquoi? Parce que je suis née précisément le jour des 30 ans de ma mère, née le 21/01/1944. A 30 ans, elle avait accompli tout ce qui me reste encore à envisager: un job, un homme, un enfant. J'étais terrifiée par cet âge socialement si chargé, si connoté. Et puis finalement, pour braver le passage de décennie, cette année-là, j'ai fêté mon anniversaire quatre fois, dont une déguisée (en Liza Minnelli de Cabaret, porte-jarretelles inclus, ce dont certains de mes amis semblent ne toujours pas s'être remis). Je n'avais jamais tant fêté, ça n'avait jamais été si sympa, j'ai frôlé la cyrrhose en quelques jours, bref, le passage de la trentaine a été indolore, qui l'eût cru.

Un autre âge me terrifiait en silence. 33 ans. Pourquoi? Parce que ma (demi-)soeur est morte à 33 ans d'un cancer du poumon. Je ressemblais beaucoup à ma soeur, du moins c'est ce que tout le monde me répétait à grand renfort de "tu es super sur cette photo", désignant en réalité ma soeur Florence. Ma soeur était un fantasme. Fâchée avec notre père pendant une bonne dizaine d'années du fait de ma naissance bâtarde, j'avais grandi dans l'ombre projetée de cette soeur que je ne connaissais pas. Je l'envisageais comme une sorte de jumelle adulte. Jumellité renforcée par cette identification plaquée sur nous, par ce "vous vous ressemblez tellement". Par les cadres photo à deux places où mon père nous mettait côte à côte sur son bureau. Deux ans avant sa mort, elle s'était réconciliée avec notre père et j'avais enfin pu faire sa connaissance. Sa mort, si éminemment symbolique, à 33 ans, fut une crucifixion familiale. Tout a éclaté, rien n'a plus jamais été pareil. J'ai grandi d'un coup, j'ai commencé à écrire. Et la peur terrible et irraisonnée que j'ai eue cette année, c'est, comme Florence, de ne jamais voir mes trente-quatre ans. "Si j'atteinds 34 ans, je serai délivrée".

Lorsque je suis tombée malade il y a un mois, c'était comme une sentence, un couperet. La dernière malchance d'être malade avant 34 ans. Le dernier inventaire avant liquidation. Je ne croyais pas si bien dire.

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Commentaires
C
Et tu as une idée de comment tu as pu attraper ce terrible virus ? Parce que c'est inquiétant, mine de rien.<br /> Sinon, tu t'aperçois que malgré le matraquage médiatique, trente ans, ce n'est rien. La vie ne bascule pas, personne ne te met en demeure d'accomplir le destin de tes parents avant toi. C'est pour ça que je tique un peu sur "tout ce qui me reste encore à envisager: un job, un homme, un enfant." Il n'y a pas d'obligation (à part pour le job, parce que c'est quand même mieux d'avoir un peu de sous !) !
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G
quel fichu virus, 1 mois de fievre ce n'est pas rien et peu courant! J'espere que tu iras mieux bientot.<br /> <br /> Concernant la fin de ton billet, ca fait froid dans le dos. Mais bon quand on est dans un etat comme le tiens, forcee j'imagine a rester chez soi, ce n'est en general pas tres bon pour le moral. J'espere que des pensees plus joyeuses t'habiteront a nouveau bientot.
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