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blog different
25 septembre 2005

Brigitte Jaune - Opening Night (quelque part en 2003)

Je m’appelle Brigitte Jaune, j’ai vingt-neuf ans, et ma plus grande angoisse dans cette vie c’est que dans exactement dix mois, onze jours, sept heures, huit minutes et cinquante-quatre secondes, j’aurai trente ans. Oui, j’appartiens à cette génération misérable qui focalise toutes ses angoisses existentielles sur la psychose de l’âge adulte et responsable. Cet âge-là se situe à trente ans. Pas un de moins, ni un de plus. Trente ans, le passage de décennie qui fait trembler les murs. A vingt ans, on est à la fac, on a un premier boulot, on sort, on se soûle, on baisouille, on a un copain qu’on aime bien mais pas trop, on déconne, les amis d’abord. A trente ans, fini de rigoler, on est mariés ou PACSés, on pense carrière et combien d’enfants il faut faire pour avoir droit aux abattements intéressants sur sa déclaration de revenus. On en fait deux ou on vise la carte de famille nombreuse ? Les allocs, c’est mieux à partir du troisième ? Et la voiture, on prend la Picasso ou la Sharane ? Allez savoir pourquoi, les gens qui passent la barrière des trente ans deviennent soudain horriblement ennuyeux. Et les dîners… Affligeants, les dîners. « Chéri, tu as pensé aux Pampers Pull’Ups et au lait deuxième âge ? », « Les filles, vous ne savez pas quoi, il a dit Maman avant de dire Papa. », « Arsène est adorable et très précoce, il a déjà deux dents. » Cinq ans plus tard, le mouflet a grandi, mais les conversations dînatoires ne se sont pas améliorées pour autant. « Hippolyte a une maîtresse très progressiste, elle refuse de leur apprendre à lire avec la méthode globale. », « A votre avis, il faut que je laisse Léonie sucer son pouce ou bien ça va lui déformer la mâchoire ? ». Moi, ce que je voudrais savoir, c’est quand exactement les gens se mettent-ils à perdre tout recul critique sur eux-mêmes et sur le contenu de leurs conversations et de leurs vies en général ? La réponse tient en trois mots, je crois : à trente ans. 

Prenez l’exemple des vacances. A vingt ans, sac à dos sur l’épaule, on navigue à vue sans peur du lendemain : camping, Tiers-monde, attentes interminables de bus en rase campagne sous la canicule, calumets et hallucinogènes divers avec les autochtones, baroudages en tous genres. On se fait la Grande Muraille de Chine à vélo, on part pour un trek dans l’Himalaya, on monte voir le soleil de minuit au Cercle Polaire, et les intellos s’expatrient un an dans un pays européen via Erasmus ou leur école de commerce. Jusque-là, tout va bien. C’est après que ça se gâte. Comment savez-vous que ça s’est gâté ? Simple. C’est le jour où vous avez réservé un séjour en pension complète pour quatre au Club Méd d’Agadir ou de Djerba la Fidèle, et que vous avez coché toutes les cases « animations ». Un mois plus tard, avec vos colliers de perles en plastique dans la main, soit vous vous sentez complètement con, et tout espoir n’est pas perdu, soit vous trouvez que les G.O. sont vraiment sympas et qu’ils divertissent bien les enfants, et là, vous avez pris dix ans dans la tronche sans le savoir.

Pour moi, le couperet des trente ans tombe le 21 mars prochain, et le compte à rebours a commencé.

Je ne veux pas devenir comme tous ces gens qui m’entourent et qui ne savent plus faire autre chose de leur vie que d’entrer dans une moyenne nationale ou des statistiques majoritaires : 1.9 enfant, 0.4 chien, 0.8 chat, 2 voitures, 0.07 hamster ou cochon d’Inde, une sortie deux fois par mois, et la belle-mère à déjeuner tous les dimanches midi.

Plutôt mourir.

Moi, Brigitte Jaune, vingt-neuf ans, un mois, vingt jours, et pas tout à fait cinq heures, j’ai envie de faire autre chose de ma vie.

***

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Commentaires
B
"Il est charmant ce texte, vraiment! Avec son lot d'angoisses qui seront devenues ridicules à la prochaine décennie. Avec son portrait du trentenaire traité au vitriol et à l'arsenic. Avec ses horribles vérités...<br /> Bravo! J'ai passé un très agréable moment.<br /> Plum'<br /> http://blog.france2.fr/tranches2vie/ "<br /> <br /> Un merci tardif à Pierrot de me l'avoir signalé. Au fait, superbe cette Sonate de Haendel. Bonne continuation à la belle entreprise de Dparoles (http://www.dparoles.net)
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B
Je vous informe que, sur la demande de l'auteur du site Dparoles, qui veut promouvoir des textes littéraires contemporains d'auteurs variés, j'ai autorisé la reproduction intégrale de ce post. Vous le retrouverez en ligne sur www.dparoles.net, rubrique "grinçant", sous-rubrique "l'âge et le temps", accompagné de la mythique musique "les oignons" de Sydney Bechet... N'hésitez pas à vous perdre dans le site et à lire les textes qui y sont proposés. Mise à jour mensuelle environ avec de nouveaux textes.
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M
Je comprends tes appréhensions, ton envie de ne pas rentrer dans le moule mais faire, et élever des enfants, c'est quand même une grande aventure. Et ça demande quand même une grande disponibilité si on veut faire les choses bien. Et on ne peut bien faire les choses que si on les aime ! C'est pourquoi en faire parce que c'est la vie, que ça fait partie du processus etc, c'est un peu dommage, et pour soi (parce qu'on a vite l'impression qu'on est littéralement bouffé et qu'on ne vit plus pour soi) et pour les mômes qui n'ont pas demandé à venir mais qui, une fois qu'ils sont là, sont très demandeurs du point de vue affectif.<br /> Evidemment, centrer ses conversations sur les couches culottes, les petits pots, les maladies infantiles et les succès ou échecs scolaires de ses mioches, c'est limité. Evidemment, le couple n'a plus la même intimité avec des enfants autour. L'idéal serait de ne faire des mioches que si on en a vraiment envie. Alors là, c'est merveilleux, on est heureux des progrès de son enfant, on y participe, on a envie de l'éveiller au monde, à tout, on fait les choses avec lui : jouer, l'emmener au cinéma, au théâtre, dans les expositions, faire du sport, lui raconter des histoires, participer à sa vie scolaire etc. Et on s'enrichit.<br /> J'ai trois enfants (grands maintenant) et je dois dire que toutes ces années d'enfance, je les ai vécues comme un âge d'or.<br /> Après, si on a la chance d'être toujours avec l'homme ou la femme de sa vie, on se retrouve à deux, et, si on a la chance que la santé suive, on a encore suffisamment de pêche pour faire des tas de choses, voyager, faire de la randonnée sur la muraille de Chine, que sais-je.<br /> Sinon, il y a toujours d'autres solutions, il suffit d'avoir envie. C'est le maître mot, et dans envie il y a vie. L'essentiel c'est d'avoir un moteur.<br /> La vie passe, elle est faite d'étapes, il y a un temps pour tout.<br /> Moi aussi je préférerais être éternellement jeune et insouciante, mais ce n'est pas ainsi que le monde a été fait. Faut adresser ses récriminations au créateur.<br /> Bon courage
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A
Comme je te comprends... Avant d'avoir trente huit ans (incroyable), j'ai eu trente ans pendant plus de cinq ans et déjà, trente ans ça me faisait vieux... Relativement aux enfants je te comprends aussi et tu as raison. Mais il faut assumer sa vie et le passage du temps. Avoir des enfants, bien qu'effectivement on se mette à s'interroger sur les couches ou les petits pots, c'est heureusement tellement extraordinaire qu'on devient indifférent aux aléas matériels de la chose. <br /> Ensuite il faut chercher à vivre autrement, ce n'est pas si difficile, à rester dans son monde, à ne pas devenir conforme à ce que les autres attendent de nous. Toujours chercher à s'amuser soi-même et à ne pas s'ennuyer, et refuser de croire que la vie soit monotone et simple. Au bout d'un moment, après la période des couches, ce sont les enfants, si on leur a donné le goût du non-conformisme, qui font rebondir les choses.<br /> je ne sais pas si ce que j'écris est clair, mais la règle c'est : Fais ce que voudras. Au fait, de qui était-ce la devise? Mon cerveau se liquéfie un peu (l'âge) et ça on n'y peut rien.<br /> Anta
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P
J'aime bien ton texte. Tu en trouveras sur www.dparoles.net à propos de la quarantaine et un autre sur la soixantaine. Tu auras ainsi un peu de recul! J'aimerais bien justement publier ton mal des 30 sur Dparoles. Je te propose d'aller voir si la compagnie des auteurs t'y plait et si tu me donnes ton accord, je ferai bien entendu un lien vers ton blog en même temps que ma prochaine mise à jour.<br /> Allez, courage. Il faut bien vieillir et je témoigne que c'est pas si mal (dans certaines conditions de vie of course.)
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