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blog different
5 octobre 2009

"Lasciate ogni speranza voi ch'intrate"

J'en ai gros sur la patate ces jours-ci. J'en perds le sommeil (il suffit de voir les horaires de mes posts...). Une semaine avant les oraux de l'agrég, je m'étais mise ponctuellement aux somnifères, pour éviter de revivre les cinq nuits blanches d'affilée endurées lors des écrits. Je n'ai pas récupéré un sommeil correct depuis ce moment-là. J'ai enchaîné les insomnies agrégatives au décalage horaire thaïlandais et désormais je subis les insomnies du stress enseignant. 

Les conditions sont difficiles. Je me lève à 6 heures presque tous les jours, et je suis rarement de retour avant 19h30. Les jours fastes, quand les transports en commun fonctionnent correctement, j'ai trois heures de trajet quotidien. Et quand les ruptures de caténaires alternent avec les grèves de personnel, l'addition peut atteindre les cinq heures de trajet. Lorsque j'arrive chez moi le soir, je suis exsangue. Je mange, je m'effondre sur mon lit et je lave mon cerveau du contenu de mes journées devant une série télévisée en attendant le sommeil, qui se fait de plus en plus rare et de plus en plus agité.

Je ne survis aux dites journées qu'à coup de multivitamines et comprimés contre les malaises vagaux. Je lutte pour ne pas défaillir presque à chaque cours, tant la fatigue est intense. Le dimanche soir, je suis si peu reposée que les larmes me viennent presque aux yeux de me dire que la semaine recommence déjà. Il faut dire que le lundi est jour maudit: j'enchaîne trois heures de cours avec les crocodiles. Et c'est un euphémisme que de dire que j'y vais à reculons. Il y a dix jours, j'ai commis l'erreur stratégique de vouloir me changer les idées en tentant deux sorties dans le week-end, au lieu de l'unique sortie que je m'autorise habituellement le vendredi soir. Le couperet est vite tombé: lundi, j'ai dû me faire porter pâle au lycée parce que je ne tenais pas debout. C'est si frustrant cette santé de merde qui me restreint en tout et qui me fait payer le tribut de chaque tentative d'incartade. 

A l'IUFM, Ubu rencontre une nouvelle fois Kafka. Vous vous pourléchez les babines devant l'intitulé du cours "Autorité" en vous disant que l'on va vous donner les clefs pour encaisser le face à face musclé avec les crocodiles et vous repartez avec des pontifications abstraites sur la psychologie de l'adolescent.

De temps en temps, un stagiaire pousse un coup de gueule, au demeurant bien futile, et qui ne parvient qu'à le faire subrepticement étiqueter "stagiaire rebelle à surveiller" par les instances supérieures qui ne se priveront pas de disséquer son cas lors de leurs réunions arcanes. En sortant des cours, les collègues stagiaires maugréent: "Qu'est-ce qu'on fout là, on a encore perdu une journée." 

Nous avons passé une année de concours d'une intensité extrême, à lire des livres compliqués, à faire fonctionner notre cerveau à plein régime et, à l'IUFM, le contenu s'étire, s'effiloche, s'étiole. L'information est diluée jusqu'à l'enlisement des neurones. Les formateurs ont une technique bien à eux. En début de cours, sur une thématique donnée, ils font un tour de table pour recenser les problèmes rencontrés par les stagiaires sur le terrain, problèmes qui sont scrupuleusement notés sous forme de liste au tableau. Et ils passent le reste de la journée à ne pas y apporter de solution. Toute question précise de la part des stagiaires est invariablement accueillie par un "nous examinerons cette question plus tard" assortie d'une épaisse tartine de langue de bois. En prenant du recul, je suis fascinée par la puissance inexorable de la machine Education Nationale qui se déploie devant moi. Et en arrière-plan, le souvenir prégnant d'Orwell sinue dans mon esprit: "Ministry of Thought", "Ministry of Truth", "Minithought", "Minitruth".

Et tandis que les formateurs parlent, mon esprit remonte le courant. Je m'interroge sur cet art de l'esquive. A quelle formation les formateurs ont-ils eu droit pour devenir les formateurs qu'ils sont aujourd'hui?

Un stagiaire a eu un bon mot la semaine dernière: "Je me suis trompé en disant que l'on n'apprenait rien ici. En fait, on apprend la politique."

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Commentaires
B
Effectivement obscure. En fait, si tu me disais juste l'intitulé de ton job, dont j'ai cru comprendre qu'il était lié à l'Education Nationale, tout serait peut-être plus clair...
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C
"A quelle formation les formateurs ont-ils eu droit pour devenir les formateurs qu'ils sont aujourd'hui?" ==> Peut-être une comme celle-là :<br /> http://canthilde.canalblog.com/archives/2009/09/20/15133865.html<br /> Je suis volontairement obscure dans cette note mais peux t'en dire davantage si tu veux.
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