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blog different
2 décembre 2005

Alcools

Ce qui s’est passé hier soir n’a rien d’un poème d’Apollinaire. Comment se comporte-t-on en adulte après une nuit si désastreuse ?

Les heures passent et apportent un peu de répit, mais pas vraiment de réponse.

Il m’a envoyé un message vers onze heures, pour dire qu’il était désolé d’avoir été dans cet état-là, et qu’il regrettait que je n’aie pas fini la nuit avec lui.

Cela m’a fait du bien. Son message m’a un peu apaisée.

Mais cela fait longtemps que les matins ne chantent plus entre nous, deux ans c’est si long. Alors que nous serions-nous dit au réveil ? Il aurait dégrisé, moi je n’aurais pas fermé l’oeil de la nuit, j’aurais sans doute pleuré, envenimé les choses en disant que je regrettais, que si je pouvais faire machine arrière dans le temps je le ferais... Il aurait trouvé cela injuste, il n’aurait pas compris, aurait élevé la voix, serait parti en claquant la porte. Tout plutôt que de revivre cela.

Et quand bien même, par miracle, le réveil aurait été agréable, alors quoi ? On fait semblant de rien, c’était bien, on se revoit dans trois mois, et chacun retourne à son quotidien comme si de rien était ? J’aurais été dévastée. A y bien réfléchir, si les choses s’étaient bien passées cette nuit, s’il m’avait fait l’amour avec émotion comme jadis, cela aurait ravivé tous mes sentiments, cela aurait été encore pire, il m’aurait abandonnée encore une fois.

Alors que pour la première fois, cette nuit, c’est moi qui suis partie. Dans ma faiblesse et ma bêtise incommensurables, c’est moi qui ai eu la force de m’arracher à cette situation sordide. Finalement, peut-être que je nous ai laissé le beau rôle à tous les deux ainsi. Pas de scène, pas de lendemain de « tu t’es vu quand t’as bu ? ».

Je crois que ce que font les adultes dans ces cas-là, c’est qu’ils ignorent l’évidence, ils feignent que rien n’est arrivé, et cela permet à la relation de se poursuivre aussi normalement que possible. Le tri sélectif de l’oubli apparent.

Après tout, quel genre de grand amour aurions-nous été si nous n’avions jamais commis ce type de bêtise, si fréquente après les séparations ? Le plus étonnant, c’est que nous ayons attendu deux ans.

C’est si compliqué l’amour.

Comment arrive-t-il à me faire sentir aussi mal, aussi faible et vulnérable ? Comment déclenche-t-il ces phénomènes stupides chez moi ? Par le biais de quelle emprise ? Pourquoi est-ce que je bois autant pour réussir à traverser une soirée avec lui alors que je suis tout à fait capable de boire avec modération et que je reste parfois des mois sans toucher une goutte d’alcool ? Et pourquoi je n’ai pas passé la soirée à vomir dans les toilettes, dans un état tellement lamentable que j’aurais dû rentrer chez moi ? Comment je fais pour tenir l’alcool comme ça ?! Quelle malchance. Et pourquoi l’alcool, au lieu de simplement me désinhiber comme tout le monde, me fait-il faire exactement le contraire de tout ce que je ferais en temps normal ? Comment parvient-il à me faire sembler attirantes des choses que je déteste ? Comment me donne-t-il ces idées de cheval ? Jusque dans les détails : la salle de bains de la chambre était esthétique, mais pas du tout comme je souhaiterais que soit ma salle de bains et pourtant, je me souviens dans un brouillard alcoolisé de m’être dit qu’en rentrant chez moi j’allais abattre des cloisons pour faire la même.

J’ai passé le reste de la nuit à me retourner dans mon lit, la tête lourde et douloureuse, le coeur tachycarde battant la chamade sans trêve. Je sais que je ne suis plus amoureuse de lui. Je sais que pour rien au monde je ne retournerais avec lui. La souffrance était trop grande et dépassait de beaucoup les moments de bonheur. Ce n’est pas cela l’amour, cela ne doit pas être cela. J’ai juré que l’on ne m’y reprendrai jamais.

Je sais que je ne suis plus amoureuse de lui. Si je l’étais, j’aurais ressenti du désir et du plaisir hier. Alors que l’alcool a fait office des deux. Si je l’étais, je n’aurais pas eu le coup de coeur que j’ai eu cet été pour quelqu’un d’autre. Si je l’étais, je voudrais retourner avec lui, alors que je ne le souhaite aucunement. Si je l’étais, je n’aurais pas pu m’enfuir cette nuit.

Alors d’où me vient cette émotivité, cette fragilité quand je suis avec lui ? Au début de la soirée, j’étais distante, je ne ressentais aucun besoin de lui. Le dîner se déroulait à merveille. Tout a dérapé lorsqu’il m’a dit que sa copine allait nous rejoindre. Après ça, la spirale... J’ai glissé.

Peut-être est-ce cela qui se passe au sein des vieux couples. On ne ressent plus la chaleur de l’amour, mais le souvenir de l’amour qui réchauffait, et la nostalgie de celui-ci. On n’éprouve plus l’amour, mais le besoin désespéré de l’amour, cristallisé sur une personne et que le moindre événement peut faire ressurgir. Le couple se perpétue grâce à la chaleur du souvenir, alors que le présent est froid.

Je repense à ce film que j’aime tant, Le Chat, avec une Simone Signoret et un Jean Gabin vieillissants qui se détruisent. La force du lien qui les unit est palpable. La fin du film le dit : ils sont perdus l’un sans l’autre. Mais ils ont quitté la route depuis si longtemps, ils ne savent plus exprimer leur amour que par les petites noises qu’ils se cherchent au quotidien. Qui deviennent des grandes noises. Il suffirait d’un « je t’aime » pour briser leur cercle infernal, mais aucun des deux n’est plus en mesure de le prononcer. Leur amour est si déformé qu’ils ne le reconnaissent plus et pourtant, chacun de leurs gestes est un appel lancé à cet amour.

signoret8

Signoret et Gabin dans Le Chat (Pierre Granier-Deferre, 1971)

Finalement, je crois que j’ai trouvé mes réponses... toute seule. Peut-être que je suis une adulte après tout.

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Commentaires
G
Pour ma part je pense que ce que tu dis<br /> <br /> "Peut-être est-ce cela qui se passe au sein des vieux couples. On ne ressent plus la chaleur de l’amour, mais le souvenir de l’amour qui réchauffait, et la nostalgie de celui-ci. On n’éprouve plus l’amour, mais le besoin désespéré de l’amour, cristallisé sur une personne et que le moindre événement peut faire ressurgir. Le couple se perpétue grâce à la chaleur du souvenir, alors que le présent est froid."<br /> <br /> resume assez bien la situation. Quand on vit en couple, meme si l'amour est vraiment mort, il n'est pas simple de se quitter je pense. C'est reellement quelque chose d'angoissant. J'en discute regulierement avec me femme. Est-elle certaine de rester avec moi car elle m'aime toujours ou bien parce que nous sommes simplement trop engage pour envisager autre chose? <br /> <br /> Bon d'accord c'est le genre de question prise de tete qu'il vaut mieux ne pas reservir a chaque repas, sinon bonjour l'ambiance dans le couple. Mais la routine s'installe tellement vite, c'est finalement le point d'equilibre vers quoi tout tend toujours, qu'on est en droit de se demander pourquoi deux personnes vivent-elles ensembles tres longtemps, voire toute leur vie?
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