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blog different
4 avril 2007

J'ai tout arrêté

"Quoi?", me demanderez-vous. Oui, j'ai tout arrêté.

Après une semaine où j'ai passé le plus clair de mon temps en pyjama, à m'enfiler des séries tv à la chaîne et sans toucher à mon ordinateur pour autre chose que surfer sur le net, ce matin, je me suis levée avec un immense sentiment de légèreté.

J'ai mis une vieille cassette de musique brésilienne et j'ai dansé toute seule avec mon café dans la main.

Depuis une semaine, je m'inquiétais, en me disant, "ma cocotte, le pyjama devant la télé, tu déprimes à petit feu, décollage imminent pour la planète Prozac"; et en fait, non.

Je crois que ce que viens de vivre ces derniers jours s'appelle un retour d'élastique.

Depuis presque quatre ans que je rame professionnellement, que les cordons de ma bourse sont chroniquement déliés, que ma mère me sauve la mise tous les mois en allongeant les sommes qui me manquent (pas glamour, hein!), je vis dans une culpabilité étouffante.

Moi qui digère des pierres, j'ai un début d'ulcère oesophagien. A mettre sur le compte de ma nervosité. Parfois j'ai des douleurs fulgurantes au niveau du plexus solaire (entre les poumons) et je réalise que ça fait des heures que j'ai le ventre contracté, que je respire à peine. Mon kiné dit que j'ai une pelote de noeuds à la place du dos.

Je me fustige pour tout et rien. Ca va de ma coupe de cheveux à mon tour de taille, de ma honte d'être si fauchée à mon désespoir de ne pas parvenir à améliorer la situation, de mes remords dès que je dépense le moindre centime à mon enfermement chronique chez moi. Je passe mon temps à me punir. Si je n'achète pas la presse, je culpabilise; et si je l'achète, je culpabilise aussi parce qu'elle fait des piles qui m'encombrent chez moi. Si je suis à la maison, je m'en veux de ne pas être dehors à faire de la photo et à vivre ma vie; si je suis dehors, je m'en veux de ne pas m'occuper d'organiser mon chez moi. Si je vais au restau, je culpabilise de dépenser de l'argent pour rien; si je ne sors pas, je me dis que j'ai une vie sociale de merde. Et ainsi de suite pour à peu près tout.

Je suis devenue le chien qui se mord la queue et il ne fait vraiment pas bon vivre dans mes baskets.

Ma grand-mère culpabilisait ma mère, ma mère me culpabilisait et je me rends compte qu'aujourd'hui, je vis une vie culpabilisée sans l'aide de personne. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne m'amuse pas du tout. Je me complais dans la culpabilité. Et après je me demande pourquoi les personnages de mes romans ne s'autorisent rien. Eux aussi sont malades de culpabilité. C'est aussi pour ça, je crois, que je finis toujours par les laisser en plan. Leur histoire ne m'intéresse pas, c'est la mienne! Parfois, je voudrais en faire des égorgeurs, des cancres, des anorexiques, des comptables zêlés et soporifiques, des toxicomanes, des charcutiers baignant dans les tripes, juste pour qu'ils ne me ressemblent pas. Je vais demander à Amélie Nothomb comment on fait. [C'est fou ce que je suis drôle]

Quand j'ai pris le train pour aller à Genève la dernière fois, je me suis surprise à retrouver une sensation lointaine et quasi oubliée: l'immense bonheur que j'ai à voyager. Jusqu'en 2003 inclus, je faisais au minimum un grand beau voyage d'un mois par an. Depuis, rien. J'ai honte de dépenser l'argent de ma mère pour ça, alors je ne voyage pas. Quelque part, je me dis qu'elle va me faire des réflexions sur le mode "c'est pas le moment de prendre des vacances, cherche plutôt du boulot". Je le soupçonne, mais je n'en sais rien en fait. Et l'autre jour, c'est carrément elle qui m'a suggéré d'aller faire un tour à Londres pour rencontrer un agent littéraire. Bon, vous me direz, c'était pour la bonne cause, mais ça m'a secouée qu'elle me pousse dans ce sens. Si je partais à l'autre bout de la planète, ce serait aussi pour la bonne cause. Je me mettrais au vert dix jours et le reste du temps, je ferais des reportages. Alors, qu'est-ce qui me retient?

Hier, j'ai regardé mon compte en banque, ce que je ne fais jamais parce que ça me déprime trop, que j'ai pris l'habitude de présumer que je suis à la limite du rouge et qu'il ne faut de toutes façons rien dépenser. J'ai eu la surprise d'y constater une somme rondelette (par rapport à mes finances habituelles, tout est relatif évidemment) et j'ai réalisé que je n'avais pas touché une miette de l'argent gagné à Genève (alors qu'avec le zoom 28-70mm Nikon et le Canon G7 que j'ai achetés fin janvier parce que mon équipement photo était incomplet, j'étais convaincue d'avoir vidé mon compte). Pour la peine, j'ai été illico sur le site d'Apple me commander le Macbook 13 pouces dont j'ai besoin pour le boulot parce que mon PC portable est mourant. Et j'ai encore de quoi me financer un reportage derrière si je veux. Ma frugalité aurait-elle fini par payer? J'avoue que je n'en revenais pas. C'est peut-être aussi la source de mon bonheur du jour, cette bouffée d'oxygène financier, mais bon, je ne veux pas le réduire à cela. Je ne crois pas qu'il n'y ait que cela.

Quand on vit tendue comme un élastique, tirée à l'extrême de tous côtés par des impulsions contradictoires, il est normal qu'à un moment l'élastique revienne vous claquer au visage dans une grande baffe salutaire.

J'ai tout arrêté il y a une semaine, parce que tout à coup, je me fichais de tout. Je n'avais plus envie de passer mes journées à répondre à des candidatures journalistiques plus hypothétiques les unes que les autres en sachant pertinemment que ça n'allait pas améliorer ma situation, plus envie de mettre mon avenir entre les mains d'autrui en prétendant que quelqu'un allait venir me sauver en me proposant le boulot de mes rêves. I simply realized my life was wrongly aimed at setting myself up for disappointment. J'ai compris que je me piègeais moi-même avec ça, que ça me permettait encore de remettre à demain ce que je devrais faire aujourd'hui. Contrairement à la majorité des gens, ma fuite en avant à moi, ce n'est pas de sauter dans le premier avion pour un ailleurs exotique et dépaysant, c'est de rester chez moi à ranger mes affaires et à me trouver des excuses pour ne pas agir.

Incidemment, outre le fait d'être une accumulatrice patentée et repentie qui se force régulièrement à ranger et jeter, je crois que mon obsession avec mon appartement est liée au besoin de vouloir reprendre le contrôle de ma vie par le biais de choses infimes sur lesquelles je peux effectivement exercer un contrôle. C'est à peu près du niveau de la phase anale freudienne où le bébé se retient de faire caca parce qu'il sait que c'est le seul truc qu'il maîtrise. Et le pire, ces derniers temps, c'est que plus ma vie m'échappait, plus je me retranchais dans mon appartement.

Quand je suis retournée sur les bancs de l'école, que j'ai été au CFPJ faire ma formation de photojournaliste en 2003, lorsque je téléphonais aux gens pour les interviewer, je n'arrivais pas à dire que j'étais journaliste et photographe. Je prononçais les mots du bout des lèvres, j'y goûtais comme à un fruit défendu avec la peur qu'on me tape sur les doigts. Quand j'ai fait mes premières cartes de visite, je me suis crue un imposteur. J'avais presque honte de les distribuer. Aujourd'hui, je le fais sans y penser et tout le monde adore mes cartes de visite très originales. Dire mon métier ne me pose plus aucun problème. Et cette année, pour mon anniversaire, je n'ai eu que des cadeaux en rapport avec le photojournalisme. Plus précisément le reportage en zone de conflit. Au final, que de chemin parcouru depuis 2003! Même si je n'exerce pas autant et au niveau que je voudrais, mes rêves sont beaucoup plus proches de la réalité qu'ils ne l'étaient avant. Et le plus drôle, finalement, c'est que mon entourage le voit mieux que moi. Je crois que, ces derniers temps, j'ai manqué de lucidité: à force de vouloir m'améliorer, impatiemment et sans transiger, au-delà de toute raison, mon excès de critique m'a fait paraître inférieure à mes yeux à ce que j'étais aux yeux des autres. Je me suis rabaissée. Et ça m'a fait tout drôle de m'en apercevoir. De constater que les autres me voyaient meilleure que moi je ne me percevais.

Je me suis toujours comparée aux autres, aux petits jeunes qui partent à 20 ans au sortir de l'école photo couvrir l'Afghanistan, portés par la légèreté de leur inconscience, aux journalistes qui ont eu le bon sens de faire une grande école tandis que je jouais mal à propos les rebelles contre l'intelligentsia, je me suis longuement détestée de ne pas avoir eu leur parcours, de m'être trompée, d'avoir traîné, erré, hésité, fait des méandres. Mais ces méandres ont été riches, j'ai beaucoup appris et mon parcours ne ressemble à aucun autre. Alors, certes, le tribut à payer est lourd car les gens redoutent et méprisent la différence; les parcours originaux ne trouvent pas la reconnaissance qu'ils méritent dans notre société bien balisée. Et ce n'est pas facile tous les jours d'appartenir de fait à cette marge, d'être devenue cette inconvenante quand on a grandi dans un milieu très convenu. D'arriver à capitaliser cette différence. On m'adore dans les dîners, on remarque mon esprit, on s'assied à côté de moi, on réclame mon numéro de téléphone pour rester en contact mais, à l'heure de m'offrir un boulot, je ne suscite que défiance et on me préfère toujours des candidats banals aux parcours balisés qui rassurent.

Alors voilà, c'est décidé, je vais terminer de ranger mon appartement une bonne fois pour toutes et rapidement, je vais honorer les trois commandes que je repousse depuis des lustres, je vais téléphoner aux magazines pour vendre mes reportages, et après je m'envole sans plus tergiverser et me chercher d'excuse. Je m'autorise à vivre et à respirer.

Et aujourd'hui, je vais chez le coiffeur. Parce qu'au final, on s'en fout si les cheveux courts vont me faire le visage plus rond. Ce qu'il faut changer, ce n'est pas ce que les autres pensent de moi, c'est ce que je pense de moi-même. Et mon moi, en ce moment, il en a marre de se planquer derrière des cheveux hyper longs, il a envie d'une nouvelle tête, de faire une pause avec la critique et la culpabilité, et de se regarder avec un peu plus de gentillesse et d'amour, comme il le mérite.

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Commentaires
C
Et ben, c'est le grand déballage ! Je pense qu'écrire des romans débridés serait une première étape. Se déculpabiliser dans la vie courante est le but à atteindre. Parfois, couper les ponts avec une famille malsaine est un cadeau à se faire à soi-même. Bien sûr, tout le monde va te critiquer et te traiter d'égoïste, mais ce serait de toute façon le cas pour autre chose, non ?<br /> Je me souviens de mes vingt ans dépressifs, toutes mes copines étudiantes étaient sous médocs, l'une avait un début d'ulcère, également... Parfois, se faire plaisir dans la vie, lâcher prise est une démarche plus intelligente que de se mettre la pression. Les séries télé peuvent aider !
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M
encore un texte très vivant.<br /> si tu pars (et je te le souhaite car c'est ce que tu veux et dont tu as besoin apparemment), reviens (nous) :o)<br /> Oui c'est dur de s'autoriser. Mais on y arrive. <br /> J'ai eu l'occasion d'avoir Amélie Nothomb au téléphone et elle est comme ses personnages de roman :o) (on n'invente jamais que ce que l'on est)<br /> Bonne journée avec le vent dans tes cheveux courts !<br /> (ps : cette adresse mail existe contrairement aux autres (factices par sécurité)).
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