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8 janvier 2012

L'enfance de Mademoiselle Chat (hommage, 1ère partie)

Mademoiselle Chat est née le 6 juillet 1993 et est rentrée dans ma vie trois mois plus tard, en octobre 1993, l'année de mes dix-neuf ans, alors que j'habitais encore dans le grand appartement parisien de mes parents. Mademoiselle Chat n'a mis qu'une demi-journée à prendre ses marques et s'est rapidement déclarée propriétaire de l'espace: mi casa es su casa. 

Ces quelques mois, avant que je n'emménage dans mon premier appartement seule l'été 1994, furent une période particulièrement joyeuse de la vie de Mademoiselle Chat. Son quotidien était rythmé par nos actions, révélant très vite l'un des aspects fondamentaux de sa personnalité: sa grande capacité d'empathie et d'accompagnement.

Mademoiselle Chat était un quatre pattes particulièrement sociable. Il s'agit là d'une des caractéristiques de la race des British Shorthair, mais elle possédait ce petit quelque chose en plus. Mademoiselle Chat aimait la conversation et ne se gênait pas pour venir vous la faire. Elle se plantait à vos pieds, vous regardait en contre-plongée et se mettait à vous causer: "Miaou, miaouuu, marrouaww, miâaww, miâww?", à grands renforts de modulations de fréquence, de ton et d'expression. Oui, c'était une vraie conversation. Et cette étrangeté était tellement palpable que tout humain en présence de Mademoiselle Chat se mettait à lui répondre en miaous humains mal imités en moins de cinq minutes. Mademoiselle Chat était ainsi dotée d'une sympathie contagieuse. La timidité ne faisait d'ailleurs pas partie de ses attributs: si elle découvrait que votre conversation humaine lui plaisait, elle montait rapidement sur vos genoux en ronronnant pour vous le signifier. Et je dois dire que dans ce domaine, les meilleurs moteurs d'avions n'avaient rien à lui envier.

La nuit, Mademoiselle Chat dormait sur mon lit. Elle l'avait fait spontanément dès le premier soir de son arrivée. Et bien qu'à l'époque je disposasse déjà d'un lit deux places, notre nuit se déroulait invariablement de la manière suivante: je m'endormais, Mademoiselle Chat poliment roulée en boule à mes pieds. C'est dans la nuit que les choses se corsaient. Je me réveillais soit avec Mademoiselle Chat amoureusement lovée entre mes jambes qu'elle écartelait progressivement en poussant avec ses pattes au fil de la nuit jusqu'à ce que l'inconfort de courbatures naissantes me réveille, soit je me retrouvais au bord du lit, à deux doigts de tomber, tandis que Mademoiselle Chat dormait du sommeil du juste en position de Jésus Christ, sur le dos, les pattes écartées en croix pour occuper le plus d'espace de literie possible à mon détriment. Ce n'est qu'au fil des années que j'ai appris à déjouer ces stratégies nocturnes et à trouver un modus dormitandi qui nous satisfasse pleinement toutes les deux. 

A l'époque, j'étais en Hypokhâgne et j'avais du mal à me lever le matin. Je faisais sonner deux réveils à dix minutes d'écart l'un de l'autre et il n'avait pas fallu plus de quelques jours à Mademoiselle Chat pour comprendre qu'on ne se levait qu'à la seconde sonnerie. Mademoiselle Chat a toujours respecté mon sommeil; si bizarres et fluctuants qu'aient été mes horaires au fil des années de notre vie commune, une règle tacite a toujours prévalu entre nous: si je n'étais pas réveillée, Mademoiselle Chat patientait pour la livraison matinale de croquettes. Et en cette époque de jeunesse parfois dissolue et toujours sans horaires, elle a parfois patienté jusqu'à deux heures de l'après-midi...

Ensuite, nous passions à la salle de bains, Mademoiselle Chat sur mes talons. Dans son enfance, Mademoiselle Chat nourrissait une curiosité sans borne à l'encontre de l'élément liquide. Il n'y avait pas de douche dans ce vieil appartement haussmannien, seulement deux baignoires, sans écran ou rideau. On prenait donc soit des bains soit des douches assis. Et ce que Mademoiselle Chat aimait par dessus tout, c'était vous surprendre d'une petite visite. Elle s'approchait, l'air de ne pas y toucher, et venait s'asseoir à l'arrière de la baignoire, sur le rebord carrelé. De là, elle attendait patiemment que votre bain s'achève, et que vous tiriez la bonde pour vider la baignoire. Et tout à coup, encore assis dans votre baignoire, vous sentiez un drôle de contact poilu dans votre dos: Mademoiselle Chat avait attendu que le niveau d'eau baisse jusqu'à une douzaine de centimètres pour sauter directement dans la baignoire derrière vous. Effet garanti. D'ailleurs, parfois, elle n'attendait pas la fin de votre bain et sautait directement dans l'eau dès le début, ce qui lui valait qu'on lui rouspète après et qu'elle se fasse éjecter sans ménagement. Une fois, Mademoiselle Chat avait loupé son coup: en voulant sauter le rebord de ma baignoire quasi pleine que je m'apprêtais à rejoindre pour un bain, elle était tombée dedans. 

Les minces filets d'eau coulant d'un robinet étaient sa passion. Maman avait d'ailleurs fait de très jolies photos d'elle contorsionnée dans l'évier de la cuisine, l'inox de celui-ci s'accordant joliment avec la couleur de son pelage bleu et de ses yeux oranges. Une autre fois, Mademoiselle Chat avait passé deux heures à regarder une goutte de vapeur s'échapper périodiquement d'une cocotte, sagement assise à côté de la cuisinière. 

Après le bain du matin, le rituel se déplaçait vers la cuisine. Elle aimait bien jouer pendant que nous petit-déjeunions. Ensuite, la femme de ménage arrivait et Mademoiselle Chat la suivait patte à patte, aidant comme elle pouvait: se cachant dans les serviettes de bain, s'intercalant entre les épaisseurs de draps pendant que les lits étaient refaits, attaquant l'aspirateur... 

Epuisée par toutes ces péripéties, Mademoiselle Chat s'accordait ensuite une petite sieste sur la table de la salle à manger, planquée sous la nappe. Ainsi entre 11h et 12h30, notre table de salle à manger avait un peu l'aspect bossu du python qui vient de déguster un lapin. 

Puis venait l'heure du déjeuner. Spontanément très respectueuse, même si un poulet rôti campait au milieu de la table, Mademoiselle Chat se pourléchait les babines, assise en bout de table, à bonne distance de nos assiettes, ne s'y aventurant jamais. Son petit péché: quand je mettais la table un peu trop tôt, en remplissant les verres à eau, je la surprenais parfois le nez dans nos verres, à essayer d'y boire. 

L'après-midi s'écoulait doucement en siestes entrecoupées de jeux. Parfois elle attrapait dans sa gueule une petite peluche en forme de grenouille qu'on m'avait offerte en souvenir du pensionnat anglais où j'étais la seule Froggy, et elle galopait possessivement avec le long du couloir, un air de défi dans le regard. Il faut préciser un détail: dans cet appartement bourgeois (que je détestais) qui avait hérité de sa conception en une autre époque le tape à l'oeil et les pièces de réception, le vaste couloir qui traversait tout l'appartement mesurait près de cinquante mètres carrés, ce qui donnait à Mademoiselle Chat tout l'espace nécessaire pour effectuer des courses infernales qui se terminaient parfois carrément dans le mur quand, emportée par son élan, elle ne parvenait pas à ralentir à temps.

Ce couloir était ponctué par deux bancs tapissés dont Maman, prévoyante, avait recouverts les pieds d'un tissu blanc épais maintenu par des épingles, afin que Mademoiselle Chat n'y fasse pas ses griffes. C'était grandement sous-estimer Mademoiselle Chat qui avait pris le vice de retirer les épingles une à une et de se trimballer avec dans la gueule, à ma grande épouvante. Mais son habileté était telle qu'elle ne se blessa jamais. 

Le soir donnait lieu à un autre rituel, devant la télévision: Maman tricotait et Mademoiselle Chat s'installait sur l'accoudoir du canapé, à côté d'elle, observant le mouvement agile des aiguilles. Mademoiselle Chat était patiente jusqu'au moment où elle ne l'était plus: n'y tenant plus d'excitation, elle donnait un coup de patte sur l'aiguille, ou descendait se battre avec une pelote, tentant de l'emporter avec elle en la déroulant. Nous riions toujours de bon coeur de ce petit manège charmant.

Mademoiselle Chat s'intéressait peu à la télévision mais partageait toutefois occasionnellement l'intérêt de mon Père pour les films de guerre, car les bruits de pchhhht, prrrrfff, crrrr, brrrmf des explosions flattaient ses oreilles et piquaient sa curiosité.

De cette époque, je me souviens d'une chose encore, de la manière dont Mademoiselle Chat veillait avec moi et sur moi. En Hypokhâgne et en Khâgne, il n'était pas rare que je passe la nuit sur mes interminables dissertations (je me souviens que les intitulés des sujets mesuraient parfois jusqu'à quinze lignes qu'il fallait ensuite décortiquer laborieusement en problématiques), exercice particulièrement casse-pieds. Mon amie Angèle et moi nous téléphonions toutes les heures au fil de ces nuits studieuses pour nous motiver mutuellement. En général, je finissais d'écrire les derniers mots de ma conclusion dans le RER au petit matin. Mais ma plus grande motivation venait de Mademoiselle Chat: quand je veillais, elle veillait. Il n'était pas question pour elle d'aller dormir sans moi. Alors, sur l'îlot central de la cuisine qui me servait invariablement de bureau lors de ces marathons nocturnes, elle se couchait sur Barthes, Kristeva, ou le Japon de l'Ere Meiji, et dormait d'un oeil et d'une oreille, me surveillant périodiquement, venant vers moi à intervalles réguliers pour s'assurer que je poursuivais mon labeur.

Mademoiselle Chat se montrait toujours maternelle et protectrice avec moi. Quand j'étais malade et alitée, elle me tenait une compagnie sans faille, ne décollant pas du lit.  

Voilà, sans doute, l'une des explications de l'amour indéfectible que je lui vouais.

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Commentaires
G
Charmant hommage à nos compagnons. Merci.
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