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5 septembre 2011

American Psycho

Je n'ai pas lu le livre, mais j'ai adoré le film, vu plusieurs fois. Merci à Yannou et Babo de me l'avoir fait découvrir.

american_psycho_1

Au fil de mes voyages, j'ai acquis un solide bon sens et une réelle intuition face aux inconnus. Si bien que -je touche du bois- il ne m'est jamais rien arrivé de grave. Avant ces vacances-ci.

Après un mois passé dans le grand Ouest, j'ai posé mes valises à New-York. Je me suis débrouillée comme une reine, j'ai déniché pour une bouchée de pain un appartement de rêve, détenu par une artiste, en plein centre de Manhattan, à cent mètres de Union Square, au croisement de la East 16th Street et de Irving Street (ou E 16th/Irving pour les intimes de New-York). Son salon est immense, totalement dépouillé à l'exception de ses installations, on se croirait dans un loft. Les murs blancs s'étirent jusqu'à trois mètres cinquante. Il y a deux canapés-liseuses design, des éclairages tamisés, et une grande peau de vache par terre. C'est hétéroclite et décoré dans un goût fou.

Je me sens immédiatement bien dans ce lieu. Je mets rapidement les liseuses à contribution pour dévorer les livres que j'ai emportés.

Un samedi soir, je sors vers 23h pour me rendre à la séance de minuit du Rocky Horror Picture Show au Chelsea Clearview Cinema sur West 23rd Street. Je marche deux cents mètres lorsque, tout à coup, un individu m'aborde dans la nuit. 

Il brandit sur moi, sous mon nez plus précisément, une sorte de gadget muni d'une antenne qui clignote vert et rouge, et s'exclame, excité: "You're clicking, Lady, you're clicking!"

Je me dis, "super, encore un timbré new-yorkais qui m'aborde" (ce n'est pas ce qui manque dans la ville et les tarés de là-bas ne ressemblent pas à ceux d'ici) et j'essaie de le contourner. Du haut de son mètre quatre vingt-dix et de sa carrure d'armoire à glaces, le type me barre le passage. Du bas de mon mètre soixante-deux, je commence à réaliser que ça craint un peu. 

"Who are you?" me questionne-t-il agressivement.

"What do you care who I am?" lui réponds-je d'un haussement d'épaules pour l'envoyer promener, en tentant à nouveau sans succès de me dérober.

"I care because you've just come out of my building (il me cite l'adresse)"

[Je prends lentement conscience que ce taré est mon voisin, que je ne connais personne dans cette ville hormis ma logeuse et que personne en France ne sait où je me trouve. Tout à coup, ma salive me semble plus dure à avaler.]

"You're clicking, you're clicking. I know who you are, I've been watching you. I know who you are, I'll keep watching you."

Il tourne les talons et repart en direction de notre immeuble. Je réalise qu'il m'avait suivie. Je commence à trembler de la tête aux pieds. Je me dirige en toute hâte vers le cinéma. 

La très chouette séance du Rocky se termine à trois heures du matin. New-York est a priori une ville sûre (tant qu'on ne s'approche d'aucun parc ou jardin à la nuit tombée), et les rues sont encore animées. Mais si je me vois sans peine faire le trajet inverse seule, en revanche, je ne me vois pas du tout rentrer dans mon immeuble seule. Je raconte l'incident. Un jeune homme de l'équipe se dévoue gentiment pour me raccompagner. Il me dit que j'aurais dû appeler la police. J'ai trois messages inquiets de ma logeuse qui me demande ce qui se passe (je lui ai laissé un message un peu affolé avant la séance lui disant qu'un incident sérieux avait eu lieu avec l'un de ses voisins qui m'avait menacée), mais il est trop tard pour la rappeler. Le jeune homme me raccompagne jusqu'à la porte de mon appartement.

Ladite porte d'appartement n'est pas blindée et ne comporte qu'un petit verrou; c'est le genre de porte que l'on peut aisément défoncer d'un coup de genou bien placé lorsque l'on dispose de la motivation appropriée.

Entre temps, sur le chemin du retour, sans avoir pourtant jamais croisé aucun des voisins de l'immeuble de quatre étages, mon sang s'est glacé lorsque j'ai réalisé que j'étais à peu près sûre de savoir de quel voisin il s'agissait.

Dès mon arrivée, j'avais remarqué que la porte de palier à côté de la mienne au 3ème étage était curieusement décorée. Elle était recouverte d'autocollants à tendance militariste, qui allaient du simple patriotique (normal aux USA) au milicien barjo: "If you cross the border, we'll break your legs", "we'll get you, terrorists", entrecoupés de photos de bergers allemands tenus en laisse par des policiers. La cerise sur le gâteau, c'était la caméra au-dessus de la porte qui filmait en direction de la mienne. Ah, j'oubliais: une sorte de détecteur non identifié, qui ressemblait à un sèche-cheveux terminé par une plaque vitrocéramique avec des pointillés rouges (si quelqu'un sait de quoi il s'agit, je suis curieuse). 

Rétrospectivement, je me dis que c'est une bonne chose que j'aie résisté à mon envie en arrivant le premier jour de "photographier la porte du barjo d'à côté". 

En tous les cas, il était clair que lorsque Ed m'avait menacée de son "I'll be watching you", il ne plaisantait pas du tout. Mettez-vous à ma place un instant: à chaque fois que je m'approchais de ma porte d'entrée, je me savais espionnée.

Inutile de dire que je n'ai pas passé une nuit très tranquille. Le lendemain, ma logeuse était de nouveau injoignable, m'envoyant des sms cryptiques qui ne faisaient rien pour me rassurer. Nous avons fini par nous joindre en fin de journée, très brièvement. Elle m'a dit que le barjo s'appelait Ed, qu'elle le connaissait depuis des années, qu'il avait été grièvement blessé dans les tours le 11 septembre 2001, et qu'entre stress post-traumatique, paranoïa aiguë, et refus de se soigner, il n'était plus très loin de la schizophrénie pure et simple. Mais que d'ordinaire il était doux comme un agneau. Elle m'a dit qu'il avait probablement pensé que j'étais un agent du FBI (ndlr: ce soir-là, j'étais en petite robe d'été et sandalettes) et qu'il avait dû avoir plus peur de moi que moi de lui.

Elle m'a néanmoins dit qu'elle lui avait téléphoné pour l'engueuler et lui dire de me ficher la paix, que s'il recommençait nous appellerions la police. 

Après un gros effort pour me calmer, j'ai décidé de ne pas appeler la police. Parce que si ça fait comme dans les films où dès que l'avocat commis d'office se pointe, le méchant est relâché, je ne voulais pas passer les dix jours qui me restaient à vivre seule à NY sur le même palier qu'un type que j'aurais dénoncé à la police. 

Je me suis dit que s'il m'abordait à nouveau avec son gadget, j'essaierais de l'infantiliser d'une voix calme en lui disant que son amie (ma logeuse) ne serait pas contente s'il se comportait mal avec moi. Et que si ça ne fonctionnait pas, il me resterait mes poumons pour hurler. Et que si ça ne fonctionnait pas non plus, il me resterait la fin cinématographiquement intertextuelle, poignardée sous la douche comme dans Psychose.

Les jours suivants se sont déroulés sans encombre et j'ai progressivement repris confiance en moi. Je n'ai jamais été une trouillarde, mais se faire agresser par un voisin, c'est une chose terrible parce que cela mine tout sentiment de sécurité que vous pouvez avoir. La maison est censée être un refuge, pas un lieu de menace et d'instabilité. Et je ne savais que trop bien, hélas, ce que cela fait d'être agressée par son voisin.

Vous vous demanderez, munie de ce savoir et de ces informations sur le charmant Ed, pourquoi je n'ai pas déménagé séance tenante? Eh bien, si vous avez déjà mis les pieds à NY en plein mois d'août, vous savez d'une part que tous les hôtels de la ville affichent complet, et d'autre part, que la moindre nuit d'hôtel coûte en moyenne $350. Mon billet d'avion était non échangeable, non remboursable. J'étais coincée. Je n'avais qu'à tenir bon.

J'ai appris à tendre l'oreille. Quand le berger allemand d'Ed aboyait lorsque je passais devant sa porte, je savais Ed sorti.

J'ai croisé Ed une seule autre fois. Il sortait la poubelle lorsque j'arrivais. Il m'a regardée avec toute la suspicion dont il était capable mais, pris au dépourvu, ne m'a rien dit.

Lorsque les médias ont annoncé l'arrivée de l'ouragan Irène, après qu'un tremblement de terre de 5,9 sur l'échelle de Richter ait eu lieu la semaine précédente, je me suis dit qu'Ed allait péter les plombs. Les catastrophes naturelles ne font en général rien de bon au mental des schizophrènes.

Tous les New-yorkais qui le pouvaient ont quitté la ville à l'approche de l'ouragan. Les touristes sont restés seuls maîtres de Manhattan avec les sdf et les armées de policiers et de véhicules de secours sinuant dans la ville toutes sirènes hurlantes. Les vitrines des magasins étaient barricadées de bois, des sacs de sable sur le seuil. On se serait crus en pleine zone de conflit. C'était surréaliste. Les médias paniquaient. Je me suis dit que, face à Ed, ma dernière heure était arrivée. J'ai plaisanté avec les deux amis que je m'étais faits et qui, contrairement à moi, quittaient la ville. Je leur ai dit: "Au moins, si tout est dévasté par l'ouragan, je saurai chez qui sonner si j'ai besoin de provisions. Je sonnerai chez Survivalist Ed", ainsi que je m'étais mise à le surnommer, sachant que les Américains dans son genre transforment en général leur domicile en bunker avec de quoi tenir des mois en cas d'attaque terroriste.

L'ouragan est passé et reparti sans qu'Ed ne pète les plombs. C'est le lendemain soir que la crise est venue. Affalée dans ma liseuse, un verre du vin acheté pour encaisser l'ouragan, j'ai tout à coup entendu le bruit d'un talkie-walkie dans l'immeuble, accompagné des bruits de quelqu'un qui dévalait les marches à toute allure. Un peu étonnée, j'ai pensé que c'était un secouriste venu vérifier que notre immeuble allait bien. Sauf que le "secouriste" a continué pendant une demi-heure à monter et descendre les trois étages en criant dans son talkie. A ce stade, je savais que c'était Ed.

Mais Ed n'a réellement mérité ses galons de serial killer en puissance que plus tard. 

Un soir, le temps s'étant couvert, j'ai fait un bref détour par l'appartement pour enfiler un vêtement plus chaud. Je n'y ai passé que deux minutes avant de ressortir. Sur le palier, à travers sa porte, j'ai distinctement entendu la voix caverneuse d'Ed murmurer: "You didn't need to get changed"

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Commentaires
L
Les catastrophes naturelles ne font en général rien de bon au mental des schizophrènes.
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L
bonsoir ! <br /> quel plaisir de vous relire !! et bin dis donc Ed comme voisin c'était une épreuve !! ;)
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C
Le livre est un roman de tueur en série assez répugnant, je te défie de le terminer sans vomir ! Et vraiment pas recommandé après ton expérience... C'est déjà dur d'être seule dans un pays étranger, alors Ed comme voisin, c'est un scénario d'horreur.
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