"We are ugly but we have the music"
J'ai été bien silencieuse ces derniers temps, je sais. Je n'avais pas trop le moral. Comme lorsque vous faites la cuisine et que le couteau qui coupe la tomate que vous venez de laver dérape sur votre doigt et vous entaille. Ca saigne un bon coup, mais on sait que ce n'est pas grave. C'est juste que, le temps que cela cicatrise, vous grimacez à chaque fois que quelque chose effleure votre entaille, même un souffle d'air les premiers jours.
Ce dernier mois n'a été que petites blessures et vexations multiples. La seule chose qu'elles ont eu en commun? Le fait de m'être apparues profondément injustes. Mais n'est-ce pas d'une banalité extrême? La vie l'est souvent. Toujours est-il que j'ai ressenti une grande amertume ces dernières semaines de me sentir dévalorisée.
Le premier événement m'a ôté le sourire pour deux semaines. C'est casse-pieds : à force de donner l'adresse de mon blog à des personnes qui me connaissent, après je n'ose plus parler desdites personnes. Mais bon, pour une fois je vais déroger et vider mon sac. J'en ai trop gros sur le coeur. J'ai besoin de parler. Alors voilà, l'histoire a commencé avec un vieux post où je rendais hommage à ma professeur de français de lycée que j'avais eu quatre années d'affilée (et en L, donc pas mal d'heures hebdomadaires). Se découvrant un jour nommément citée, elle a souhaité savoir qui j'étais, me complimentant gentiment sur mon blog. J'ai voulu jouer les devinettes et mal m'en a pris.
J'ai toujours regardé avec une stupéfaction sans borne mêlée d'horreur les adolescentes qui hurlent, pleurent, trépignent, se pâment et finissent évanouies dans les bras des videurs aux concerts des Tokyo Hotel ou similaires. Je n'ai jamais été fan de qui que ce soit. En 1986, j'avais de l'admiration pour Madonna, et j'ai collectionné ses albums, mais je ne suis jamais allée la voir en concert. Quant à Christophe Lambert, lors de la sortie de Greystoke ou du Sicilien (l'histoire du héros maquisard Salvatore Giuliano), son strabisme de bête et son charisme animal exercèrent à la même époque une certaine fascination sur moi, mais dès 1988, c'était déjà fini. Non, les seules personnes qui ont généré mon admiration, mon respect et même une affection profonde dans la durée, je suis fière de dire que c'était des personnes qui le méritaient. C'était une poignée de professeurs dont j'ai eu le bonheur de croiser la route.
Au cours de ces quatre années de français, nous étions trois élèves à nous partager les meilleures notes en dissertation. Lors de notre échange de mails, ma vénérée professeur du passé m'a cité les deux autres élèves puis toutes les pétasses de la classe: la mythomane professionnelle, la religieuse intégriste, etc. Et moi, rien. L'échange était enjoué, sa curiosité piquée. Après cette série de devinettes infructueuses, j'ai fini par lui donner l'indice ultime: un dîner qui avait eu lieu chez moi. Et là, en bout de course, mon nom a surgi, assorti d'un souvenir de l'activité professionnelle de mon père qui, entre autres choses, avait oeuvré trente ans en tant qu'administrateur de l'Alliance Française. Le mail se concluait un peu abruptement par "on essaie de garder le contact?". Dans ma réponse, j'ai confirmé son souvenir, lui ai dit que mon père était mort, lui ai posé des questions sur sa thèse. Ce mail-là n'a jamais reçu de réponse. Pas d'invitation à se retrouver. La mention de mon nom a mis un point final à la discussion. Et j'ai perdu mon sourire. Il n'y avait là ni orgueil ni fierté, juste la blessure de l'invisibilité. La blessure de me dire que toutes ces années j'avais voué une affection et une admiration immenses à quelqu'un qui, finalement, ne m'avait pas vue. Et ne souhaitait pas non plus me voir à l'avenir.
La suite? Oh, pas grand' chose. Les mesquineries pathétiques distillées dans les rapports rédigés par les formateurs pour ma validation à l'IUFM. Par exemple, sur un rapport, parce que j'avais rendu les étapes de mon mémoire en retard de cinq jours (parce que je dormais trois heures par nuit en décembre et en janvier alors que je rédigeais mes vingt-sept candidatures individuelles pour les postes de PRAG et que je courais dans toute l'Ile-de-France pour aller aux entretiens en plus de mes heures de cours, de formation, de mon triple lieu d'affectation et de mes trois heures de trajet quotidiennes), pour ce petit retard de rien, au chapitre "processus de rédaction du mémoire", ces nullards m'ont écrit "pensée incohérente et rédaction incohérente". Au final, vu le déroulement de ma soutenance au cours de laquelle aucune question ne m'a été posée sur le mémoire, je reste convaincue que le jury n'avait pas lu ledit mémoire (outre la dizaine de pages que j'avais présentées au cours de la rédaction et qui avaient reçu une correction) auquel j'avais sacrifié mes vacances de Pâques et de nombreuses soirées et nuits. S'il est une chose que les directeurs de recherches successifs que j'ai pu avoir à l'Université ont systématiquement souligné (et pour des travaux autrement plus complexes et sérieux que ce mémoire), c'est bien la clarté et la cohérence de ma réflexion.
La dernière flèche décochée à mon moral est venue hier soir. Ma meilleure amie et moi nous connaissons bien. Nous avons totalement confiance l'une en l'autre. Je me dis parfois qu'elle est la soeur que je n'ai pas eue. Nous nous sommes rencontrées il y a seize ans. En seize ans, nous avons eu des différences d'opinion, nous nous sommes parfois agacées mutuellement lorsque nous avons passé quelques jours de vacances ensemble mais nous ne nous sommes jamais disputées. D'ailleurs, il est rarissime que je me dispute avec mes ami(e)s. Autant je peux dire qu'en amour je cherche souvent la petite bête et génère facilement des disputes (souvent involontairement); en amitié, je suis radicalement différente. J'aplanis, je pardonne, je donne ma confiance sans réserve, je vois l'essentiel, j'ai de la sagesse. Si je savais faire preuve de la même sagesse dans mes amours, cela ferait belle lurette que je serais en couple. Le fait que je sois ainsi a, je pense, beaucoup contribué à la stabilité dans le temps de mes amitiés et à leur qualité (c'est aussi parce que j'ai choisi des amis de qualité, hein, évidemment!). A bien des égards, mes amis sont ma famille et des années d'amitié sans faille comme ces seize années offrent des certitudes, un sentiment de stabilité. Je dis toujours que je dois beaucoup à mes amis.
Et puis d'un coup, la flèche est là pour vous rappeler qu'en une seconde tout peut basculer, que tout peut être détruit, venir balayer ces seize années comme si elles n'avaient jamais existé. Hier, ma meilleure amie m'a insultée. Une insulte venue de nulle part, sans provocation, au beau milieu d'une discussion sur l'immobilier. Son ton montait depuis cinq minutes de façon constante et les jugements à l'emporte-pièce pleuvaient. Je commençais à trouver que c'était déplacé dans notre conversation et que cela devenait déplaisant mais je n'en ai rien dit. C'est là que ma sagesse s'exerce: je connais ma meilleure amie, et je sais qu'elle a parfois le mot un peu dur et le jugement humain un peu rapide (et pas toujours juste parce que son prisme est très personnel), ce qu'elle dit me déplaît parfois, mais c'est foncièrement quelqu'un de bien intentionné et je sais faire le tri et comprendre d'où viennent ses paroles. J'ai une certaine capacité à encaisser sans broncher et son amitié me paraît infiniment plus importante que de m'attarder sur ces détails.
Mais l'insulte d'hier soir m'a fait l'effet d'un coup de poing. Cela m'a coupé le souffle et j'ai raccroché immédiatement sans répondre ni dire un mot. Les mots étaient violents, mais ce n'est pas le jugement qu'ils émettaient (qui pour le coup me semblait assez à côté de la plaque) qui m'a blessée, c'est l'ordure de l'insulte elle-même. Comme si elle avait déversé une poubelle sur notre amitié. Le choc m'a fait pleurer.
Une heure s'est écoulée qui m'a semblé un siècle sans qu'elle ne rappelle. Je me demandais ce qu'elle pouvait bien penser pendant ce temps-là. Si elle avait eu conscience de la portée de ses mots, de la haine qu'ils contenaient. Si elle regrettait. Si elle s'était trouvé des justifications au fait de s'adresser à son amie ainsi.
Devant le silence, j'ai fait ce que je fais toujours avec les gens que j'aime, parce qu'en amour je n'ai pas le moindre orgueil, j'ai fait le premier pas et j'ai envoyé un texto où je disais posément que rien ne saurait justifier le recours à l'insulte. Elle a renvoyé un sms de demi-excuses: ses mots avaient dépassé sa pensée, mais elle m'accusait d'avoir catalogué sa relation amoureuse dans une précédente conversation (malentendu total sur ce coup-là... s'il y a bien une chose qui me semble échapper totalement au catalogage, ce sont les relations humaines, j'avais simplement voulu lui donner un conseil parce que je m'inquiète pour elle et que j'ai tendance à vouloir protéger mes amies de la souffrance en bonne mamma italienne que je suis... j'ai visiblement marché sur un oeuf et l'on ne m'y reprendra pas. Je constate avec les années que donner des conseils à ses amis, c'est vraiment comme traverser un sous-bois infesté de pièges à loup... Le truc, c'est que quand les amis vous sollicitent pour des conseils, il y a un stade où ils ne veulent pas/plus entendre vos conseils, et qu'on ne capte souvent qu'on a franchi ce stade qu'après s'être pris le pied au piège. Je ne suis pas du tout comme ça, alors percevoir cette limite chez les autres ne fait pas partie de mes talents naturels. D'autant que chez certains, le piège à loup est proche de l'orée de la forêt et qu'on a à peine commencé à marcher qu'on a déjà les pieds dedans). Bref. J'espérais un coup de fil, un mail, un geste aujourd'hui, qui n'est pas venu. La violence de ses paroles qui tournaient en boucle dans ma tête m'a empêchée de dormir une partie de la nuit. Je me suis réveillée aux aurores, épuisée, le moral cassé. Toute la journée mon corps m'a semblé peser plus lourd que d'habitude.
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P.S. La suite dans les commentaires.