When you're strange, no one remembers your name
"People are strange, when you're a stranger
Faces look ugly when you're alone
Women seem wicked, when you're unwanted
Streets are uneven, when you're down"
(Densmore-Krieger-Manzarek-Morrison)
Un grand verre de bon vin rouge à côté de moi sur la table pour faire passer ce début de soirée indigeste. Pourquoi les gens pour qui vous comptiez et qui comptaient pour vous mettent-ils un tel acharnement à vous rayer de leur vie? Cela me demeure incompréhensible.
Il y a eu Vi, photojournaliste sur les mêmes bancs d'école que moi en 2003. Je n'ai jamais cessé de rester en contact, un mail groupé par-ci, un petit mot sur son répondeur par-là. Elle n'était que rarement disponible, répondait épisodiquement. Finalement, nous nous sommes donné rendez-vous dans un café cet été, place du Châtelet. Elle m'a prise de haut sur le thème de "Toi, petit scarabée, tu appartiens au passé, tout cela c'est une vie antérieure pour moi, maintenant je suis quelqu'un d'autre, un grand Jedi, et je pense que c'est la dernière fois que l'on se voit, bonne chance à toi, petit scarabée."
Il y a eu C., ma meilleure copine en Terminale, la complice de mes fou-rires en cours d'espagnol, j'étais allée en vacances chez elle à Trouville à deux reprises. Elle était la seule avec qui j'avais gardé contact à l'issue de la Terminale. On s'est revues régulièrement jusqu'en 1997 approximativement. Elle travaillait juste à côté de chez moi, on déjeunait ensemble. Et puis un jour, pfouitt, envolée. J'ai appelé tous ses numéros, ceux de ses parents, abonnée absente, j'ai perdu sa trace. Je l'ai retrouvée ainsi qu'une bonne partie de ma classe de Terminale sur Facebook il y a quelques semaines. J'étais folle de joie de la retrouver, mariée, habitant dans le Sud, avec trois magnifiques petites blondinettes de filles qui lui ressemblent en miniature, j'avais hâte qu'elle me parle de sa vie. Je lui ai demandé son nouveau numéro de téléphone pour que l'on discute de manière plus conviviale qu'au travers de Facebook. Sa réponse m'a cloué le bec: "Avec mes trois enfants et mon boulot, j'ai pas le temps de téléphoner. Ecris-moi." Qu'elle soit débordée, ok, mais de là à refuser de me donner son tél...
Il y a eu Emie, ma copine sur les bancs de Fac à Nanterre. On habitait à 100 mètres l'une de l'autre, on passait notre temps fourrées l'une chez l'autre. Elle n'allait pas bien à l'époque: maniaco-dépressive, parfois elle m'appelait au milieu de la nuit. Je prenais soin d'elle, je lui faisais souvent à manger, j'étais toujours là quand elle avait besoin de moi. Au point que ça devenait tyrannique parfois. Je crois que l'une des dernières fois où nous nous sommes vues, c'était lors de la finale de notre mythique Coupe du Monde un-deux-trois-zéro. Elle se soignait, était partie en vacances à Brighton, avait rencontré tout un nouveau groupe d'amis for-mi-da-bles, et je me suis retrouvée sur la touche. On s'est revues lors du vernissage d'une de mes expos en 2004. Je l'avais invitée, elle est venue. Elle a dit qu'il fallait qu'on reste en contact et on s'est revues deux fois par la suite, dans deux soirées, son anniv puis le mien, deux soirées déguisées archi réussies. Puis plus rien. Je laissais des messages, sans réponse. Jusqu'à il y a un mois. Je me suis dit que c'était ridicule, et je l'ai appelée jusqu'à ce que je tombe sur elle. Elle s'est montrée abrupte, glaciale. "Ca fait si longtemps" (c'est sûr que si tu avais rappelé quand je laissais des messages, cela n'aurait pas fait aussi longtemps. Non mais je rêve). Je finis par l'adoucir et on décide de se prendre un verre. C'était lundi dernier. Elle me contacte dans l'après-midi du lundi: un empêchement. On décale à ce lundi soir. Elle m'appelle à 19h30 (on avait rdv à 20h) et elle annule, sur un ton relativement odieux, et me dit qu'elle ne sera vraiment pas disponible pour décaler le rdv. Au nom de notre amitié passée et du respect que je lui voue, je ne l'ai pas traitée de conne mal baisée, non, j'ai gardé mon calme et me suis contentée d'un laconique: "ok, eh bien, si tu es disponible à l'avenir, tu sais où me joindre."
Combien d'autres exemples de ce type de comportement pourrais-je encore citer?!
C'est là que je me dis, au milieu de mes complexités apparentes, je suis une fille simple. Je ne retourne pas ma veste au gré du vent. Les gens que j'aime, je ne cesse pas de les apprécier parce que l'eau a coulé sous les ponts. Mes amis d'hier, j'aurai toujours plaisir à les voir aujourd'hui et même dans un lointain demain. Ne serait-ce que par curiosité de savoir ce qu'ils sont devenus, ce qu'ils ont à raconter, quels genre de citoyens du monde ils sont devenus. Qu'importe, au fond, si nos routes se sont séparées, si on n'a plus grand' chose à se dire, c'est la vie qui veut cela parfois, mais quel mal y a-t-il à partager quelques joyeuses réminiscences autour d'une tasse de café? Ne seriez-vous pas fier(e) ou ému(e) qu'un(e) ami(e) du passé fasse des pieds et des mains pour vous retrouver? En vérité, j'offrirais un café même à la plus superficielle ou plus peste fille de la classe, à la plus bête, à celle avec laquelle je ne m'entendais pas. Les gens changent. Parfois, les anciens ennemis deviennent pittoresques et sympas avec le temps. Parfois, on a plaisir à voir que le rapport de force a changé. Et même s'il n'a pas changé, qu'importe. On est au-dessus de ça, non? J'ai de bons souvenirs de mes années d'école, de fac, de pensionnat. Ca n'était pas facile tous les jours, je n'étais pas toujours populaire (j'ai compris le truc à partir de la Prépa: s'asseoir au fond de la classe, faire semblant de glander, discuter avec les voisins, jouer celles qui n'y comprennent goutte. Ah, quelle popularité alors!), mais je ne les échangerais pour rien au monde.
N'y a-t-il que moi et ce joyeux ringard de Bruel pour comprendre la joie d'un rendez-vous dans dix ans? Pourtant une tripotée de midinettes a chanté ce tube-là, mes copines comprises, alors, quoi, c'étaient des "Parole parole parole" que j'étais seule à entendre?