Limelight
[Live from
your correspondent en salle V]
J’ai retrouvé les odeurs familières de la BNF, son calme de ville fantôme lorsqu’on est parmi les premiers à la pénétrer, à troubler l’épaisseur de son silence de bon matin. La moquette terre de Sienne brûlée dont la densité feutrée semble avaler le bruit de vos pas, les lampadaires aux formes contemporaines et abstraites comme autant de gardiens hiératiques de son savoir. Je ressens une ivresse joyeuse à chaque fois que je reviens ici, que je pousse les lourds battants métalliques qui ouvrent sur un royaume que l’on ne soupçonnerait pas depuis les escalators cernés de béton qui y conduisent.
Cela faisait deux ans, déjà.
Je puise dans les notes du passé pour l’écriture de deux articles et me découvre rouillée, bouche bée de ce que j’étais capable d’écrire jadis dans l’intensité de l’effort. Cela me paraît loin, une terre mentale à reconquérir.
Je suis heureuse de la compagnie de Julia. Je la regarde lire à mes côtés. Il y a de la sérénité à puiser dans l’effort groupé.
16h, Julia est partie, je suis restée. Je me suis promis de faire la fermeture. Avant, je faisais toujours la fermeture. Je me faisais même gronder aux vestiaires, bonne dernière.
Pause café. C’est le troisième de la journée, je commence à sentir la fatigue, je lutte. Je laisse un message sur le répondeur de Yannou : « Dis, au bout de combien de cafés on se sent réveillé à la BNF ? » Un mystère dont je n’aurai sans doute la clef que de retour chez moi, courant désespérément après mon sommeil en fuite à trois heures du matin.
Je fais deux fois le tour du chemin de garde de ce stade de rugby en forme de puits végétal dans l’espoir que l’activité physique ressuscite quelques-uns de mes neurones.
Assis sur les marches devant les salles de
pause, des lecteurs hagards me regardent passer avec les yeux vides et
globuleux des vaches qui font du trainspotting. Dans trois heures, je leur
ressemblerai.