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blog different
16 octobre 2005

Brigitte Jaune - Petites anthropologies entre amis

Si après ceci, vous reculez à l’idée de pénétrer chez moi, c’est que vous ne savez pas comment vivent mes amis. Mon voisin de palier, par exemple, a formé le vœu pieu de s’enterrer vivant dans ses poubelles. Un fois, j’ai été faire le ménage chez lui. Quand au bout d’une heure, j’ai achevé mes allers-retours au local vide-ordures, l’appartement semblait vide. Heureusement que nous habitons au RDC, imaginez si avec cette flemme-là, il avait eu en plus l’ascenseur à prendre. Mon voisin n’a semble-t-il jamais fait l’acquisition de grands et beaux sacs poubelles verts ou bleus, ou même gris ou noirs, avec ou sans poignées coulissantes jaunes. Non, sa prédilection va aux sacs plastiques blancs des supermarchés : plus petits, plus rapidement remplis, satisfaisant ainsi une certaine exigence numéraire, dans lesquels il replace ses bouteilles de bière vides après les avoir bues, comme ça elles n’ont pas trop le temps d’être dépaysées par l’air libre. Enfin, ça c’est dans les jours fastes, sinon, il laisse les bouteilles coloniser progressivement meubles et étagères, bien calées entre des piles de tickets de métro usagées. S’il y a autant de bouteilles de bière vides, c’est parce que mon voisin se nourrit exclusivement de bière, de nicotine, de riz, et de lait de soja. Ce qui, à ses dires, ne produit que des poubelles propres. Copyright, marque déposée, il a breveté le concept. Les poubelles propres sont donc déclarées aptes à séjourner dans l’appartement pour des périodes plus ou moins longues, périodes qui prennent fin lors d’irruptions ménagères forcées de ses parents, bien décidés à remettre un ordre martial dans toutes ces patachonneries.

Quant à ma meilleure amie, elle a le pouvoir miraculeux de transformer n’importe quel frigo en ruche vivante. Comment, me demanderez-vous ? C’est simple. Bien que dépourvue d’hérédité canadienne, la vue d’une bouteille de sirop d’érable la plonge dans un état de gourmandise fébrile. Quelques jours plus tard, sans qu’il lui soit possible d’expliquer le pourquoi du comment, elle vous restitue votre frigo ruisselant de sirop.

Maladresse ? Jugez plutôt. Je l’ai rencontrée lors d’un voyage dans le sud de l’Italie. Arrivées à Naples, elle a déballé sa valise devant moi. Il y avait là une dizaine de chaussures et sandalettes en tous genres, que des pieds gauches sans pied droit et vice-versa.

Une fois, elle a gardé mon appartement l’été. Quand je suis rentrée de vacances, j’ai eu l’impression que le congrès annuel des sorcières de Salem s’était tenu chez moi. Dans la cuisine, il y avait des bocaux de toutes tailles emplis d’étranges potions : de la glaise à boire, des herbes, et toutes sortes de substances odoriférantes non identifiées. Il ne manquait que la bave de crapaud et les pattes de poulet. Car mon amie se passionne aussi pour l’herboristerie et les médecines douces en tous genres. Vous la verrez sucer des bâtons de réglisse des jours durant pour repousser une angine carabinée. Deux semaines de ce régime infernal, et elle se proclame guérie grâce au miracle de la naturopathie. Moi, je dis que la seule chose de naturelle dans sa guérison, c’est le boulot qu’ont fourni ses anticorps. Sauf tout le respect que je dois aux médecines placebo, moi, un jour d’angine et j’attaque les antibiotiques. Et puis ça me fend le cœur quand je la vois toussotante et fiévreuse avec ses petits bâtons de réglisse à la main. Au final, on se demande même si ce ne sont pas les fibres du bâton de réglisse qui la font tousser.

Et puis il y a mon autre meilleure amie, qui s’est immunisée contre toutes les maladies d’origine alimentaire possibles et imaginables en entretenant dans son frigo de savantes dégoulinures d’origine douteuse. Ses plaques de cuisson émergent à peine d’une épaisse couche de graisse brûlée qui recouvre toute la surface de la cuisinière. A première vue, on a l’impression d’être le témoin involontaire d’un test comparatif d’une publicité pour antirouille, mais en y regardant bien, on se rend compte qu’il ne s’agit là que d’une pauvre cuisinière qu’on a laissé mal tourner. Mon amie explique cela par son faible pour la cuisine indienne : « Tu sais, les lentilles dahl, c’est pas comme les lentilles normales, ça déborde et ça fait plein de mousse et de vapeur, c’est pas possible de garder une cuisine propre quand on cuisine ça. » Pour ma part, je fais du dahl régulièrement, et mes plaques sont toujours immaculées. Le secret, c’est de ne-tt-oy-er. Je l’ai expliqué à mon amie, que les plaques de cuisson de notre millénaire ne s’auto-nettoient pas, comme j’ai expliqué à mon voisin que les poubelles propres n’étaient pas comme les chiens auxquels on peut apprendre à se sortir tout seuls quand on habite à la campagne. Peine perdue.

Quant à son linge, elle a su faire preuve de beaucoup de créativité pour son entretien. En effet, elle refuse depuis des années de s’acheter une machine à laver le linge, sous prétexte qu’elle trouve plus efficace de le laisser tremper dans la baignoire et une série de bassines. Alors quand vous arrivez chez elle un jour de lessive, vous avez l’impression d’être à Vaison-la-Romaine après le passage de la crue.

Le secret de ces personnes, c’est leur croyance obstinée en la validité et la supériorité de leurs systèmes bien personnels. Demandez-leur, elles vous répondront qu’elles se simplifient bien plus la vie comme ça. Le plus merveilleux, c’est qu’en les observant, moi qui sors mes poubelles, nettoie ma cuisinière, et garde le sirop d’érable bien enfermé dans sa bouteille, je me trouve très normale. En vérité, je suis au moins aussi timbrée que ces personnes, mais différemment. D’ailleurs, si vous me demandez, je trouve l’humanité toute entière royalement timbrée quand on la regarde au microscope.

Bien d’autres cas de pathologies domestiques aiguës existent parmi mes fréquentations. A croire que c’est mon premier critère de sélection relationnel. Avant que je ne mette de l’ordre dans sa vie, mon boyfriend anglais construisait des gratte-ciels avec des boîtes à pizza. Juste devant la porte de l’entrée. Comme ça, les gens qui pénétraient chez lui avaient d’emblée un aperçu de son régime alimentaire. Son frigo était vide, à l’exception de quelques Guinness, de sauces verdâtres entamées depuis plusieurs mois (« But I’m sure they’re still good. » « Of course, mange-les donc, Darling. »), et d’une barquette de beurre. Si vous n’aviez pas eu un aperçu assez convaincant de son alimentation en ouvrant la porte d’entrée, vous pouviez deviner le reste en analysant les résidus divers qui s’étaient incrustés dans son beurre. Nutella, sauce tomate, miettes de pain, Peanut butter, tout y était représenté.

Par ailleurs, les relations extrêmement détendues qu’il entretenait avec chiffons et plumeaux faisaient que je pouvais écrire mon nom dans la poussière de chacun de ses meubles, ce que je n’ai pas manqué de faire, accompagné d’un provocant « wash me ». Au bout d’un moment, il en a eu tellement assez de voir mon nom écrit partout qu’il s’est mis au ménage. Une victoire de plus pour la Mère Denis.

Morale de l’histoire : tout ce que vous ferez de vos appartements pourra être utilisé et retenu contre vous par votre copine médisante.

***

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Commentaires
B
Merci pour votre gentil commentaire, qui m'encourage à poursuivre dans les aventures de Brigitte Jaune. C'est vrai qu'en lisant cela, on se dit que la réalité dépasse largement la fiction. Les amis décrits ci-dessus ainsi que leurs pathologies sont authentiquement véridiques et font de merveilleux sujets d'inspiration. Ils font aussi de merveilleux amis (lucky me!).<br /> <br /> Bonne soirée,<br /> BD
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R
Hello, c'est vraiment plein d'humour.<br /> Vous écrivez trés bien, et c'est un bonheur de vous lire.<br /> Ca m'a redonné la pêche. Merci.
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S
Te lire est un plaisir. J'essaie donc de le partager.<br /> Suis pas certain cependant que la fréquentation de ton blog explose grace à moi, mais si je peux t'amener un ou deux lecteurs supplémentaires, c'est avec joie.<br /> Au fait, ton directeur de recherches, il était content ?<br /> Car si je ne m'abuse, c'était aujourd'hui, la remise de l'oeuvre non ?
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M
Coucou BD et les autres !<br /> <br /> Hé oui, c'était moi concernant les chatouilles. Aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de l'une de mes pathologies qui, je dois le dire, rend ma mère complètement folle. En fait, lorsque ma mère sort un truc du frigo, je regarde immédiatement la date de péremption. Cela vient du fait qu'un jour, il y avait 1 litre de thé froid sur la table. Or, nous étions dans notre maison secondaire pour les vacances et forcément quand on laisse des produits alimentaires pendant un certain temps, on se méfie vite. Et bien, quand j'ai voulu me verser un verre de thé froid, j'ai apercu des copeaux bruns flottant dans mon verre. Pas de doute possible, il était vieux. Et en regardant la date, je me suis rendu compte qu'il avait au moins 5 ans.<br /> Depuis ce jour-là, j'ai la manie de vérifier les dates de conservation.<br /> <br /> Voilà, j'espère que personne ne lira ce message pendant son repas. Si c'est le cas, je vous fait toutes mes excuses.<br /> <br /> Longue vie à ce blog !
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B
Pour ton lien à toi aussi vers mon blog!<br /> <br /> C'est fou les blogs, on se retrouve avec plein d'amis...
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